[Françoise Jouan, chapelière à Lyon]

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localisation Bibliothèque municipale de Lyon / P0772 FIGRPTP1826 08
technique 1 photographie positive : tirage noir et blanc ; 15 x 20 cm (épr.)
description Adresse de prise de vue : Françoise Jouan, chapelière, 23, rue Mercière, Lyon 2e.
historique Un de ces grands appartements bien lyonnais, aussi haut de plafond que vaste, dont les murs ont oublié depuis longtemps quelle couleur ils sont censés supporter. Le jaunissement a fait son oeuvre, bien aidé en cela par le four posé dans l'une des pièces ; aucun lit ou canapé ne donne sur la rue Mercière, tout près de la rue Grenette, car les lieux vivent encore à l'allure d'un atelier. Un atelier pas tout à fait comme les autres puisqu'il abrite la seule chapelière de France. Après avoir passé son CAP de coupe-couturière, travaillé à la DDASS et au tribunal de grande instance de Toulon, après avoir aussi travaillé le cuir, Françoise Jouan s'est lancée vaillamment dans le chapeau pour dame. En mai, c'est la période où les heures de travail comptent plus que tout et, sans interrompre son ouvrage, elle explique comment elle en est arrivée à se lancer dans le métier : "Je suis très manuelle et c'est par le biais de connaissances que j'ai été emmenée à prendre la succession de Raoul Meucci. Enfin, pas exactement puisqu'il était travailleur à domicile, tandis que je me suis installée comme artisan. Et je crée ma propre collection". "J'ai appris sur le tas de février à mai 1986 en compagnie de Raoul Meucci qui, lui, travaillait avec sa soeur - quatre vingt huit ans - plus particulièrement chargée des travaux de couture. Moi je tire les chapeaux et je sais coudre puisque cette dame m'a également appris à le faire". Seule dans son atelier, Françoise Jouan cumule donc les postes et, alors que les commandes battent leur plein en vue de la saison d'été, ce sont des seize ou dix-sept heures de travail qui constituent son lot quotidien. Samedi et dimanche compris et, ce, pour quatre à cinq mois encore. "J'arrive à tirer environ vingt cinq feutres par jour, par exemple ; vous savez, à ce rythme-là, à la fin de la journée, vous avez les bras musclés !" explique-t'elle sans qu'aucune trace de regret ne vienne poindre. D'autant qu'elle enchaîne tout de suite sur ce qu'elle n'a pas connu, le passé (elle s'est installée au 23, rue Mercière en octobre 1986). "Auparavant, les chapeliers travaillaient en couple et près des trois-quarts étaient d'origine italienne. Il y a d'ailleurs toujours un fort lien avec l'Italie puisqu'on a intérêt à se fournir là-bas... c'est bien souvent beaucoup moins cher, notamment pour les formes". Des formes en bois, Françoise Jouan en possède une jolie collection dans son atelier, anciennement établissements Roux - "la pancarte est toujours restée depuis soixante ou soixante-dix ans, et restera" ; certains placards, qui en regorgent, n'ont pas été ouverts depuis des années (l'un d'entre eux, depuis onze ans) et elle estime qu'il y a près de cinq cents formes différentes disséminées dans ce grand appartement. "Pour faire ma collection d'été, j'ai choisi parmi ces vieilles formes, avec différentes calottes d'origine, parce que je n'avais pas les moyens d'en acheter de nouvelles. De cette façon, j'ai créé vingt quatre modèles pour mes clients lyonnais - seuls dix-sept ou dix-huit se vendent bien - et une dizaine pour Paris". [...] La chapellerie, comme elle la pratique, est reconnue comme métier d'art. Les responsables de la Chambre de métiers se sont d'ailleurs penchés sur ce cas peu banal. Malheureusement sans que cela ne change grand-chose à l'affaire. Françoise Jouan s'en explique d'une voix égale : "II faudrait que j'apprenne le métier à quelqu'un pour bénéficier d'une aide financière ; personnellement, je préférerais travailler avec une autre personne et cela ne me dérangerait pas d'expliquer comment tirer les chapeaux. Mais cet apprenti, je devrais le payer pendant environ trois mois, de ma poche, avant de recevoir, éventuellement, une aide. Et je n'ai pas les moyens de payer qui que ce soit, j'arrive tout juste à vivre". Il est vrai que ce n'est pas l'artisan qui gagne beaucoup d'argent dans cette profession ; les prix sont imposés par les distributeurs. "Le chapeau le plus cher m'est acheté soixante-deux francs, certains quinze francs-pièce". Françoise Jouan ne le dit pas, mais ces mêmes chapeaux voient leur prix multiplier par dix, vingt ou même trente lorsqu'ils sont présentés dans les magasins ; elle se contente de remarquer : "Ce n'est vraiment pas le fabricant qui gagne de l'argent. C'est peut-être aussi pour cela que la profession est tombée". Ce qui ne l'empêche pas de continuer à tirer des chapeaux comme une forcenée ; elle a même suspendu sa ligne téléphonique pour ne pas être dérangée, pour pouvoir travailler encore plus et mieux. L'atelier Roux et son enseigne (tout au moins l'enseigne qui cache Françoise Jouan) continuent de vivre au rythme du tirage des chapeaux, le rythme infernal de la dernière chapelière de France. Chapeaux pour dames... et quelques uns pour messieurs. Source : "Chapeau, madame chapeau" / Laurent Perzo in Lyon Figaro, 4 mai 1987, p.56.

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